dimanche, août 17, 2008

Drame de la Butte 28/08/1944

Heugnes le 28 Août 1944

Lieu dit la Butte

Extrait modifié du récit de Léon Bodin « Les Journées Tragiques d’Ecueillé »*

Les modifications sur le texte initial du livre de Léon Bodin sont apportées par Georges LAMIRAULT, fils de Roland, elles sont étayées par le travail de Luc Morin et portent sur :
- le prénom de son père : Roland et non René
- sur le point concernant l’identification de son corps. Il s’agissait bien de Roland Lamirault, et non d’Onésim Adam,
- Monsieur Bodin n’a pas pu serrer la main d’Albert Laurent et de Paul Baron qui sont montés à l’arrière du camion, en cours de route au château de Fontenay, en compagnie du lieutenant de Montfort. Ces derni
ers se rendaient à l’hôtel Notre Dame à Pellevoisin.

LE DRAME DE LA BUTTE DU 28 AOÛT 1944

A la suite des combats qui se sont déroulés dans la nuit du 25 au 26 août 1944, dans la ville d’Ecueillé (Indre) qui firent 11 morts dont 7 civils, le maire de la ville Monsieur Léon Bodin demanda à la préfecture de l’Indre, de faire intervenir des artificiers pour sécuriser la ville. De nombreuses munitions encombraient la place de la mairie.

Trois artificiers ont été désignés pour cette dangereuse mission, qu’ils ont brillamment accomplie avec courage et dévouement.

Ce jour là, le danger le plus important était en embuscade sur la route du retour vers Châteauroux, sur la commune de Heugnes, au lieu dit la Butte.

Le 28 août, une équipe d'artificiers du Centre du Génie de Châteauroux venait procéder au déminage et à l'enlèvement des obus. La place de la Mairie restant un danger constant pour les habitants.

Je revois encore, vers les 4 heures de l'après-midi, l'adjudant d'artillerie Léopold Linares, chef d'équipe, accompagné de MM, Onésime Adam , Roland Lamirault , me rendre compte de sa mission scrupuleusement exécutée.

Toutes les mines et obus non explosés avaient été entassés par ses soins sur le terrain communal de la Haute- Roche.

Je serrai chaleureusement la main de ces trois hommes, ne pensant certes pas que, dix minutes plus tard, leur camion serait pulvérisé par un canon allemand et que je ne reverrais, le lendemain, que des cadavres.

Une colonne ennemie en retraite, qui avait essuyé le feu de l'aviation anglaise aux environs de Palluau, s'était repliée en direction de Villegouin et de Pellevoisin. Cette colonne était celle signalée le matin même à Écueillé, pendant la messe des soldats. A la vue du camion, les Allemands ouvraient le feu à la Butte, route de Buzançais, et incendiaient le véhicule et ses occupants avec un canon .antichars de 37 mm.

Miraculeusement, le lieutenant de Montfort (Chasseur Monnier dans la résistance), qui avait pris place en cours de route dans le camion, avec Paul Baron(2) et Albert Laurent (5), échappait à la mort.

Le lieutenant Louis de Montfort de la 27e Division alpine, chevalier de la Légion d'honneur, Croix de guerre (2 citations), n'était autre que le Prince Napoléon.

Se trouvant au P. C. Carol, à la ferme de Fontenay, le Prince Napoléon avait été chargé de mission par le commandant et devait se rendre à Châteauroux.

Seul survivant du convoi, l'officier F. F. I nous fait l'émouvant récit suivant:

« J'entends un claquement sec, semblable à un coup de fouet. Et aussitôt après une fusillade terrible éclate, accompagnée par le tir rapide d'un canon de 37. Le camion, criblé de toutes parts, s'arrête. Je crie: « Tout le monde dans le fossé » et, d'un bond, je saute dans le fossé droit de la route.

Trois hommes seulement m'y rejoignent. Un feu d'enfer passe au-dessus de nos têtes. Je vois les balles traçantes des fusils mitrailleurs. En face de nous, sur la route, à 400 ou 500 mètres, je distingue le barrage boche bien camouflé dans une haie et le long des talus de la route. Un obus vient frapper de plein fouet le radiateur, qui se déchire. Le camion prend feu à trois mètres de nous. La situation est grave. Nous n'avons pas d'armes pour riposter. Nous allons être cloués sur place ou fusillés s'il y a des rescapés. Le conducteur et le sous-lieutenant qui étaient sur le siège avant sont tués et vont brûler dans les flammes de la voiture. Je me soulève un peu pour étudier le terrain et voir ce qui peut être tenté. Il faut quitter le fossé le plus rapidement possible. Il ne saurait être question de traverser la route à gauche, prise en enfilade par les tirs. A droite, un champ et, au loin, un bois à 6 ou 700 mètres, qui seraient à parcourir en terrain découvert. Ma décision est prise: il faut gagner ce bois, même sous le feu des Allemands. Je crie aux camarades étendus dans le fossé : « En direction du bois, « - à droite, suivez-moi.» Je n'ai pas de réponse. Je renouvelle mon appel; rien. Sont-ils déjà blessés ou tués?

Je ne puis pas l'affirmer (on m'a dit plus tard qu'ils avaient été achevés par les Allemands). D'un bond, je saute hors du fossé et je fonce en direction du bois.

Quand les balles sifflent trop près, je plonge dans les chaumes et, en rampant, je gagne du terrain. A 300 mètres du bois, le feu s'intensifie; la terre se soulève par endroits et fume. Je ne sais pas encore si j'arriverai aux arbres.

Je cours, plié en deux. 100 mètres, 50 mètres encore; voilà bientôt le bois et l'abri. Les balles claquent contre les troncs des arbres. Je me retourne. J'inspecte aussitôt la plaine. Sur la route, le camion brûle. De hautes flammes s'élèvent et beaucoup de fumée. Aucun signe de vie aux environs. Les Allemands tirent toujours. Essoufflé, je peux à peine marcher et remarque seulement que je viens de recevoir un éclat d'obus dans la jambe gauche.

Ma chemise est déchirée par de nombreux éclats qui ne m'ont que légèrement atteint et brûlé l'épaule; le tout a duré cinq minutes au plus.

Je rentre au P. C. de Fontenay renseigner le commandant sur la position exacte du barrage allemand qui devait protéger les convois passant sur une route de rocade. Mais déjà le P. C., alerté, s'est transporté dans les bois de Fontenay. C'est là que je reçois les soins du médecin-major. On me transporte à la ferme d'Ognais, où je resterai huit jours avant d'être transporté à l'hôpital de Châteauroux. Je désire rappeler le dévouement de la famille Bionnier qui, malgré tous les risques, n'a pas hésité à me recueillir ».

Les artilleurs allemands abattaient deux chevaux attelés à la charrue de M. Villemont, métayer à la Butte, tandis que le charretier assurait son salut dans une retraite intelligente.

Occupant le domaine, l'ennemi prenait tout le personnel comme otage. On conçoit la frayeur de ces alentour. Le convoi allemand reprenait ensuite, sans autre incident, la route de Pellevoisin, qu'il traversait vers 17 heures.

Le 29 août, dans l'après-midi, les corps affreusement mutilés des cinq malheureuses victimes de la Butte étaient transportés en camionnette par les F. F. I, dans un baraquement, place de la Nouvelle-Église. En présence de M. l'abbé Gibert, je prélevai et mis sous scellés les objets et papiers divers retrouvés dans les vêtements.

L'identité de ces hommes fut ainsi établie. Le cadavre de Roland Lamirault, totalement calciné, fut, en raison de sa petite taille et des vestiges du tablier de cuir qu’il portait au cours de sa mission, reconnu de façon certaine.

Pendant deux ans, une simple croix de Lorraine en bois, en bordure du fossé, rappela le lieu du martyre.

Le 11 novembre 1946, une stèle élevée par souscription publique, avec participation notamment des municipalités d'Heugnes et d'Ecueillé, était inaugurée en présence d'une assistance nombreuse et recueillie.


Les 5 victimes de cette tragédie :

(1) Léopold Linares (1905-1944), rue du Colombier, à Châteauroux, exhumé et transporté à Déols le 18 septembre 19H.Il sera ré-exhumé le 28 août 1954 pour être transporté au caveau familial de Calès en Dordogne.



(2) Paul Baron (1923-1944). Le Grand Pin, La Gouffonne, Mazargues, Marseille. Il repose au cimetière Saint Paul de Marseille.

(3) Onésime Adam (1909-1944) Déols. Inhumé à Ecueillé, il fut exhumé et transporté au cimetière de Déols le 18 septembre 1944.




(4) Roland Lamirault (1902-1944). Originaire de la Chapelle du Noyer (28). Il travaillait à l'ERGM de Châteaudun. Il fut muté à Châteauroux en 1940. Il est enterré au cimetière de la Chapelle du Noyer.



(5) Albert Laurent (1921·1944), ancien élève de Saint-Cyr, lieutenant F. F. I. Exhumé et transporté à Issoudun le 18 septembre 1944,

Fin du texte modifié

Il faut ici remercier Luc Morin, miraculeux rescapé de la soirée du 25 août 1944, sa maman est morte dans leur maison alors qu’elle le tenait dans ses bras. Il avait 5 ans à l’époque. Saluons son travail de mémoire entrepris pour compléter, voire modifier à juste raison, les récits et témoignages existant.

Il précise entre autre «Ce qui est moins connu, c’est la présence d’un deuxième véhicule, indiquée par ailleurs sur le rapport du Commandant de Givry. Une voiture légère, Citroën 15 Cv avec trois homme à bord venaient de quitter Fontenay. Au volant, le Colonel Ghislain (pseudo Gustave) à ses côté un nommé Duperray ; Gabriel Darrault est assis à l’arrière. Le véhicule se rendait à l’hôtel Notre Dame à Pellevoisin, comme les trois autres personnes qui étaient montées dans le camion. Celui-ci avait servi d’appoint pour transporter les hommes depuis Fontenay.

La Citroën dépasse le camion peu avant la Butte et les occupants se font un signe de sympathie.

Le dépassement est à peine terminé quand le premier tir d’obus frappe le camion. La Citroën stoppe, les trois occupants descendent ; le Colonel Ghislain, appuyé sur la voiture tire en direction du canon avec une carabine américaine. Le combat est inégal et ils ne peuvent que constater leur impuissance. Ils se cachent et réussiront à s’enfuir. Peut-être grâce à la présence d’un avion anglais qui a repéré la scène ».

Orléans 18/08/2008

*« Les Journées Tragiques d’Ecueillé » récit de Léon Bodin, ancien Conseiller Général, Maire d'Ecueillé. Ouvrage disponible à la Mairie d'Ecueillé.